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DOSSIER HISTOIRE - de Plunkett - Le Procès de Galilée : Un scientifique catholique et la politique de l'époque - Réinformation ?

MyPointOfVieW :
Je vous présente aujourd'hui un dossier réalisé par Monsieur Plunkett, concernant l'affaire Galilée. On a beaucoup versé d'encre sur l'Histoire qui aurait confrontée l'Eglise et ce scientifique catholique, ami du Pape de l'époque. Dans l'esprit (pas très vif) général, l'Histoire est claire : la méchante Église de l'époque était contre le science et a interdit et condamné, de fait, le gentil scientifique qu'était Galilée. L'Histoire tourne autour du fait que la Terre tournerait (justement) autour du Soleil ce qui contredirait ce que la Bible affirmerait (selon quelques théologiens de l'époque).
Ce qu'on ignore le plus, ou ce que l'on ne veut pas chercher à comprendre, c'est les relations politiques et stratégiques en place à l'époque entre différents pays européens. Ce dossier veut remettre au devant de la scène (car on a bien à faire à une pièce de théâtre avec cette histoire) ce point extrêmement important, si l'on veut, vraiment, saisir cette affaire.

Très bonne lecture :)


Texte tiré de l'excellent site : http://plunkett.hautetfort.com

Galilée (le film) : la vérité sur l'affaire ?

"Galilée ou l’amour de Dieu ": un excellent film. Mais l’histoire réelle ne s’est pas passée comme ça…

Claude Rich (Galilée).



L’affaire Galilée (1633) fut une lourde gaffe romaine. Le savant fut « sacrifié » par l’érudit Urbain VIII, son ami et protecteur, pour des raisons politiques : le pape croyait ainsi donner le change à l’Espagne et à l’Empire qui le menaçaient sous un prétexte religieux (voir ci-dessous) dans une Europe à feu et à sang. Calcul à court terme, avec de redoutables conséquences intellectuelles et morales à long terme ! Cette énorme bourde a gravement nui à l’Eglise, et lui nuit encore – bien que la mise à l’Index ait été levée en 1664, que Galilée lui-même ait été réhabilité en 1784 par Clément XII, que les papes modernes lui aient rendu hommage, et que le concile Vatican II ait fait écho à sa pensée sur les rapports entre science et religion.


Néanmoins, si l’on étudie de près l’affaire Galilée (cf. bibliographie ci-dessous), on constate qu’elle ne correspond pas à la légende noire fabriquée au XIXe siècle par les polémistes anticléricaux.


Le procès de 1633 ne fut pas l’aboutissement logique de l’attitude d’une Eglise catholique « hostile à la science ».


Ce procès contredit l’attitude que l’Eglise avait manifestée jusque là.


Rappelons que :


- le chanoine-astronome Copernic, mort en 1543, ne fut jamais inquiété ni même contredit par l’Eglise. Au contraire : Paul III avait lu avec intérêt le De revolutionibus orbium coelestium, que le savant lui avait envoyé avec une dédicace affirmant nettement que la terre tournait autour du Soleil. (Les seuls à attaquer Copernic furent Luther, Calvin et Melanchton).


- Certains théologiens catholiques renâclaient, mais ni plus ni moins que l’ensemble du microcosme intellectuel de l’époque : en effet la révolution copernicienne posait un sérieux problème à la pensée humaine, structurée autour du « système de Ptolémée » (géocentriste) depuis quinze siècles. Renoncer à une fausse évidence - la Terre centre du monde - allait être un processus lent et difficile. Certains intellectuels, rendus agressifs par ce qu’ils considéraient comme une menace pour leur pouvoir, allaient entreprendre de persuader les tribunaux d’Eglise que le système de Copernic contredisait la Bible.


- Pourtant, durant les soixante années qui suivirent la mort de Copernic, le Saint-Siège n’accepta d’ouvrir aucun procès théologique contre son œuvre. Mieux : en 1582, le pape Grégoire XIII utilisa des éléments coperniciens dans sa grande réforme du calendrier.

- Le souci de Rome était d’empêcher les universitaires traditionnels, crispés sur Aristote et le géocentrisme, de déclencher une bataille suplémentaire dans le milieu intellectuel alors que l’Europe était ravagée par la guerre entre princes protestants et catholiques.


- En 1589, à Rome, le cardinal jésuite Bellarmin (un des meilleurs intellectuels de l’époque) proposa, pour protéger la pensée copernicienne, de ne la considérer que comme une hypothèse : on dirait aujourd’hui un « modèle ».


Photo : le cardinal Bellarmin.

- Survient en 1590 Galilée, mathématicien et physicien, aussi parfaitement catholique que l’était Copernic. C’est le protégé des scientifiques jésuites : Christophe Clavius, Paolo Valla. C'est aussi un polémiste-né. Dès 1604 il se pose en ennemi d’Aristote, donc de l’establishment universitaire. En 1609, il se fait astronome grâce à la construction du premier télescope. Ses observations, qui réfutent l’astronomie antique et vont dans le sens du système copernicien, sont appuyées par les astronomes jésuites (Muzio Vitelleschi) et par les cardinaux romains protecteurs de la jeune académie scientifique et humaniste des Lincei.


- Bientôt triomphant et adulé, Galilée suscite les jalousies universitaires. Il leur riposte par des pamphlets, brillants, drôles et d'une rare cruauté. Les jaloux blessés l’attaquent alors sur le terrain religieux. Deux dénonciations échouent en 1615 : l’Inquisition romaine les déboute, jugeant que Galilée n’a rien d’hérétique.


- En 1616, les ennemis de Galilée trouvent un biais : ils parviennent à faire juger « contraires à la Bible » deux idées coperniciennes. Le De revolutionibus de Copernic, quoiqu’apprécié par des papes et des cardinaux, est mis à l’Index « jusqu’à ce qu’il soit corrigé ». Le véritable objectif des jaloux est de faire taire Galilée, notoirement partisan du système de Copernic…


- Mais le cardinal Bellarmin protège Galilée : il lui demande de considérer le système copernicien comme une simple hypothèse tant que ce système n’aura pas été prouvé. Galilée s’y engage : la méthode Bellarmin lui permettra, s’il la suit, de continuer ses recherches à l’abri de la polémique. Le souci de Rome est toujours d’étouffer cette polémique, pour ne pas ajouter une crise intellectuelle aux convulsions politico-militaires qui ravagent l’Europe.


- Hélas Galilée a deux défauts : il ne peut se retenir de polémiquer, et il est impatient. Il affirme avec des preuves insuffisantes. Il lui arrive même, comme à tous les chercheurs, de se tromper sur certains points : par exemple sur les comètes et les marées. Et il défend ces erreurs avec tant de férocité qu’il se fâche avec ses plus vieux amis : les scientifiques jésuites du Collège romain, tel l’astronome Orazio Grassi (alors que dans l’affaire des comètes, c’est Grassi qui a raison !). Ces défauts de Galilée ouvrent un boulevard à ses ennemis.


Urbain VIII.

- En 1623, un autre vieil ami de Galilée, le cardinal Barberini, ami des Lincei, devient le pape Urbain VIII. En 1624, Galilée lui fait part de son intention d’écrire un ouvrage comparant "les divers systèmes du monde" (Ptolémée, Copernic et Kepler). Le pape acquiesce, à condition que Galilée les traite tous comme des hypothèses. Galilée s’y engage.


- En 1628, il soumet son texte au dominicain Riccardi (Inquisition romaine). Celui-ci, qui est un ami, ne lui demande que des modifications de détail et la promesse de faire imprimer le livre à Rome. Urbain VIII demande l’ajout d’une conclusion pieuse, qui ne change rien au contenu scientifique. Galilée accepte.


- En 1631, Galilée montre la nouvelle version à Riccardi et obtient l’imprimatur. Urbain VIII le bénit.


- Puis Galilée fait le contraire de ce qu’il avait promis. Il imprime le livre à Florence, non à Rome. Ce qui lui permet d’y faire des ajouts contraires aux accords : 1. un nouveau titre réduisant le sujet au duel Copernic-Ptolémée (ce qui rallume la polémique, contrairement à ce que Galilée avait juré au pape) ; 2. une façon désobligeante, et même sarcastique, de présenter la conclusion demandée par Urbain VIII. Du coup, le livre (qui a eu l'imprimatur !) prend l'air d'une provocation. Il paraît en 1632.


- Urbain VIII se fâche. Il juge que Galilée a trahi sa confiance. On en profite pour faire croire au pape que Galilée avait signé en 1616 l’engagement de ne plus parler du tout de Copernic : Urbain VIII crie alors à la double trahison. On en profite aussi pour relancer l’idée que Galilée est un crypto-hérétique, passible des tribunaux. La machine judiciaire va pouvoir se mettre en marche.


- Mais la colère du pape est à moitié feinte. S’il décide de frapper Galilée, c’est surtout pour « l’effet d’annonce », comme on dirait aujourd’hui. Et c’est politique. Explication : les deux superpuissances catholiques de l’époque, l’Espagne et l’Empire, sont en guerre contre les puissances protestantes (princes allemands et roi de Suède, soutenus en coulisses par la France de Richelieu). Urbain VIII, francophile, passe pour complice de Richelieu. L’Espagne et l’Empire menacent donc Rome. Puissances ostentatoirement catholiques, leur arme idéologique est la « défense de la foi ». Pour obliger le pape à rompre avec la France, elles l’accusent de mollesse envers l’hérésie protestante : prétexte qui peut mener au sac de Rome par l’armée impériale (comme en 1527). Déjà les cardinaux pro-espagnols (Borgia, Ludovisi) demandent la déposition d’Urbain VIII. Il y a même des rumeurs de complot d’empoisonnement. Pour se défendre de cette menace, le pape veut réfuter l’accusation de mollesse en faisant un coup d’éclat : obliger une célébrité à se démarquer de toute hérésie, sous les yeux de l’Europe. Galilée tombe à pic...


- Urbain VIII lance la procédure en 1633. Il cadre l’opération de très près, pour lui faire produire l’effet politique attendu sans être trop dur envers le septuagénaire Galilée. L’instruction, confiée à un neveu du pape, limite le chef d’accusation : ainsi l’Inquisition ne pourra pas aller trop loin. Puis le procès est expédié en deux audiences. Il est purement formel. Aucun débat d’idées. Après une conversation off avec le commissaire général Maculano, Galilée accepte de faire ce qu’Urbain VIII attend de lui. Le 22 juin, on lui inflige une assignation à résidence perpétuelle et il signe une abjuration. Cette repentance est censée réprouver tout ce qui, dans l’acharnement de Galilée en faveur du système de Copernic, pourrait, de près ou de loin, avoir des résonances hérétiques…


- Après quoi Urbain VIII envoie copie du document, non aux évêques de la chrétienté, mais… aux souverains et principaux ministres de toute l’Europe. Ce qui montre dans quel esprit a été menée l’affaire.

Le comte-duc d'Olivares, par Velasquez. C'est la politique de Madrid qui a fait pression sur Urbain VIII...


- Galilée vivra encore neuf ans, dans le confort de la villa Médicis, puis du palais archiépiscopal de Sienne, puis de sa propre villa florentine : recevant ses élèves, et écrivant ce qui sera son livre principal (un ouvrage de physique : Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles touchant la mécanique et les mouvements locaux).


Il fallait rappeler tout cela pour avoir un avis sur le film Galilée ou l’amour de Dieu, qu’on a pu voir le 7 janvier à FR3.


Réalisé par Jean-Daniel Verhaeghe, ce film bénéficie de la présence, subtile et lumineuse, de Claude Rich dans le rôle-titre. Le scénario est de Jean-Claude Carrière, déjà auteur d’un chef d’œuvre (La Controverse de Valladolid).


Il a bénéficié aussi de la collaboration du scientifique Claude Allègre. Celui-ci s’est occupé d’une partie des dialogues, et il explique (Le Point, 5 janvier) avoir voulu « corriger les images d’Epinal que l’on peut avoir sur Galilée ».


En effet : le téléspectateur, s’il est vraiment attentif au dialogue, apprend grâce à ce film que Galilée ne fut pas le héros de "la Science contre la Foi" ; qu’il était profondément catholique ; que la haute Eglise l’avait longtemps soutenu ; et que la politique fut la cause secrète du procès de 1633.


Mais les journaux de télévision ont préparé le public à comprendre autre chose : selon Le Nouvel Obs télé-ciné-radio (7-13 janvier), par exemple, ce film est « une formidable leçon d’histoire sur le pouvoir absolu que l’Eglise a fait peser pendant des siècles sur l’Etat et la science ».


Pourtant les faits historiques réels de l’affaire Galilée nous montrent le contraire : une Eglise très nuancée sur les questions scientifiques, et finissant par commettre la bourde de 1633… sous la pression politique des Etats !


Par ailleurs, le film (superbe) présente le même défaut que La Controverse de Valladolid : il remplace souvent les faits par du roman. Les vraies raisons de la brouille entre Galilée et les jésuites ne sont pas indiquées. Les débats scientifiques et intellectuels que montre le film n’ont jamais eu lieu au procès, qui ne fut qu’un faux-semblant expéditif - puisqu’il s’agissait d’une opération politique… Et malgré le talent des auteurs, malgré la volonté d’Allègre de « corriger les images d’Epinal », le film donne tout de même l’impression que la religion catholique est en soi l’ennemie de la science. Ce qui est historiquement faux, même si 1633 reste une tache sur le passé de l’Eglise.

P.P.

Texte tiré de l'excellent site : http://plunkett.hautetfort.com

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